Les Africains

Tapage, bourdonnement, agitation, foire d'empoigne, buzz comme disent les jeunes soudés à leur « smartphone », tout ce bruit me fatigue. 

Cette nuit j'ai rêvé que je tenais un « meeting » ... mais non. 

Je criais aux gens dans la foule de s'arrêter un moment, de m'écouter mais ils ne m'entendaient pas. 

C'était comme si mes cris restaient au fond de ma gorge. 

Ma bouche s'ouvrait, une salve de silences en jaillissait et les gens ne me voyaient même pas. 

Alors je suis déçu. 

Il faut pourtant que je leur dise à ces aveugles, à ces sourds, à ces fourmis qui vont et viennent et s'entrechoquent. 

 Il faut que je leur dise que la France est toute petite, que nos petites querelles internes sont dérisoires : la gauche, la droite, l'emploi, le P.I.B., la croissance, l'euro … … … Frédéric Lopez a emmené Zabou en « Terre Inconnue » ... (sauf de ses habitants). 

 Non, non, restez, c'est le même sujet … ! 

Ils sont une poignée de bergers-guerriers ou de guerriers-bergers à vivre au bord d'un lac dans un village minuscule du Sud-Ouest de l’Éthiopie, un village fait de huttes de branches et de paille. 

Les hommes élèvent et gardent leurs troupeaux, principalement des chèvres, dans la méfiance des bergers du village voisin qui sont prêts à les tuer pour voler leur bétail. 

Les femmes font des enfants, les élèvent, leur transmettent leurs traditions comme il y a mille ans. 

Elles font tout ce que les hommes ne font pas et comme ceux-ci gardent leurs troupeaux dans les pâturages alentours ils sont fatigués lorsqu'ils rentrent le soir et ils comptent sur leur épouse pour les détendre. 

C'est ce que j'ai retenu de ce reportage. 

J'ai beaucoup aimé. 

J'ai beaucoup appris. 

Cependant je ne peux m'empêcher de penser que ces intrusions en terre inconnue ont quelque chose d'indécent. 

Ces peuples sont la mémoire du monde comme l'a rappelé F. Lopez. 

Notre caméra, nos vêtements, notre langue, nos manières d'être sont à des années-lumières de leur civilisation. 

Certes ce rapprochement de quelques semaines est empreint d'un grand respect et de délicatesse pour ces gens peu habitués à ce genre de visite et je rends hommage ici au sens humain de Frédéric et de toute l'équipe pour l'esprit d'amitié qu'il a su établir entre eux.

Mais comment ne pas susciter une envie, un besoin dans la tête de ces gens simples et heureux ? 

Car, oui, ils semblent heureux ! 

Ils apprennent l'anglais en plus de l'éthiopien dès leur plus jeune âge comme pour soigner une cicatrice de leur asservissement aux colons britanniques qui les ont spoliés pendant des siècles. 

Ces malheureux ne savent pas encore qu'ils vont être "déplacés" car leurs terres ont été louées par leur gouvernement à des producteurs de cannes à sucre chinois pour un dollar par an et par hectare. 

Je suppose que c'est le juste prix arraché par les dirigeants de ce pays au terme de longues négociations. 

Ailleurs c'est la terre riche en uranium que l'on creuse sur des centaines d'hectares pour faire tourner nos centrales nucléaires. 

Le traitement sur place de ce précieux combustible inflige à la population environnante une irradiation cent fois supérieure à la 
« normale ». 

Comment ça, "ils risquent d'en crever" ?! 

Hé bien, ils n'ont qu'à s'en aller ailleurs ! 

Ah, NON !!! Pas en France ! 

Manquerait plus qu'ça ! 

Ailleurs, ce sont des plaies immenses à ciel ouvert au Niger ou au Gabon. 

Ailleurs, des immenses balafres dans les forêts primaires. 

Ailleurs on parle français, allemand ou espagnole. 

Ailleurs on creuse, on arrache, on pompe. 

Ailleurs on laisse des ruines, des pauvres, des malades et des morts.  
Et pourtant c'est si bon le chocolat! 

Et ça fait tellement plaisir aux petits le matin de Pâques ! 

Et le café, … Hein, ce p'tit noir du matin, au bureau, un dossier à la main … 

C'est pas cher et vous savez pourquoi ? 

C'est parce que les cultivateurs africains et les autres sont payés avec des armes obsolètes que les français ne veulent plus. 

Nous appelons cela « le commerce équitable ». 

Et le teck … c'est super le teck !… pour fabriquer des meubles de jardin qui seront démodés l'année suivante … 

Et je ne vous parle pas du pétrole, du gaz,  du cuivre , de l'aluminium et des métaux rares qui entrent dans la composition de nos chers ordinateurs, des diamants qui pendent au cou de nos chères vieilles comtesses ... 

Si cette nomenclature vous passionne sachez que les neuf dixièmes des matières premières sont concentrées sur le continent africain. 

De là à insinuer que les africains viennent en France pour quémander leur dû ne serait que justice ... 

Le néocolonialisme est en marche soit par des multinationales en quête de nouveaux profits, soit par les anciens colons qui, eux-mêmes, sous d'autres oripeaux, continuent de s'approprier les richesses naturelles de ce continent non content de s'être approprié le continent lui-même. 

Comment ne pas s'indigner alors du sort réservé à ceux qui parmi eux, ont eu le courage de quitter familles et villages pour grappiller plus prêt de la source les quelques miettes que nous leurs jetons avec condescendance. 

Ils ne sont pas les bien-venus. 

Ici on est entre riches, riches de droite comme de gauche. 

Nous les accepterons que lorsqu'ils auront ramé cinq ans en France dans l'illégalité la plus officielle, cachés au fond d'un taudis qu'ils partageront avec une douzaine de leurs compatriotes sans céder un instant ni à la mélancolie ni à la drogue.

Lorsqu'ils sauront parler français, qu'ils pourront produire quittance de loyer et attestation d'embauche, alors et seulement là, nous examinerons le bien-fondé de leur démarche et, si la totalité des critères n'est pas remplie, nous les «reconduirons à la frontière ».

LIBERTÉ ÉGALITÉ FRATERNITÉ  es-tu gravée si petit au fronton de nos mairies que nous ne te voyons plus ? 

La pierre est-elle usée? le relief effacé? 

France chérie dont la grandeur a répandu les Droits de l'Homme sur la planète, dont le modèle révolutionnaire a montré le chemin à d'autres nations, ne te laisse pas ronger par le pouvoir de l'argent.

Ne sort pas du sillon qu'a creusé nos aïeux. 

Sois fidèle à notre devise et éclaire de nouveau le monde de ton humanité.