Freud, le tennis et la sexualité

 

 

Quel lien existe-t-il entre le tennis et le pénis ? 

Dans une lettre du 21 novembre 1897, adressée à Loretta Norelsky, Freud décrit ce que plus tard on appellera « le fantasme originaire du tennis ».

« J’ai fait un rêve éveillé, écrit-il, dans lequel je voyais un petit garçon debout dans un couloir de double, tandis que deux spectres vêtus de blanc caracolaient. 

Je venais à peine de me reconnaître dans cet enfant observant ses parents en train de jouer au tennis, qu’une terreur m’envahit, m’empêchant de franchir la ligne de côté. 

Lorsque je me réveillai en sursaut de cette expérience bouleversante, je sus immédiatement que j’avais fait une découverte prodigieuse. »

Ce rêve étrange devait être à l’origine de la fameuse Théorie de la pulsion de tennis :

« Elle est venue à moi tout armée dans un rêve, continue Freud dans L’interprétation des rêves de tennis (1905). 

Je voyais un homme emporté par une puissante tornade ; des forces mystérieuses semblaient jaillir du plus profond de ses entrailles. 

Soudain son front s’orna d’un étrange objet que je ne parvenais pas à identifier. 

C’est alors que je distinguais le mot Frapsh. Perplexe, je ne cessai de me le répéter jusqu’à ce que finalement, je réussisse à en déchiffrer le sens : « Frappe la balle ! » Aussitôt, je reconnus dans cet étrange objet le manche d’une raquette de tennis. 

Tous ces indices étaient si lumineux que je ne pouvais les ignorer plus longtemps. 

Ainsi frappais-je aux portes de la destinée. »

L’idée de la raquette génitale, Freud l’avait déjà exprimée en un raccourci saisissant : « La vie est dans le tennis, le tennis est dans la vie. »

« Vu que dans les fantasmes, les rêves et quantité de symptômes, la tête renvoie aux organes génitaux mâles, croire que plus c’est gros mieux c’est, relève d’un mécanisme de compensation parfaitement futile. Désespérés par leurs médiocres performances avec des raquettes conventionnelles, certains patients mettent leur faiblesse sur le compte de leur angoisse de castration et s’imaginent pouvoir y échapper en cherchant refuge dans la sécurité illusoire que procurent les raquettes métalliques à grosse tête. Ces substituts du pénis peuvent effectivement contribuer au succès, mais celui-ci est éphémère et les infériorités de type névrotique ne font que se déplacer ailleurs. » (p.47)

La tenue a aussi son importance : si elle est de couleur blanche, il faut parier que le joueur espère de cette partie tout autre chose qu’un simple trophée supplémentaire à son actif : Freud propose qu’à l’avenir les joueurs de tennis portent « des tenues multicolores, afin de circonvenir les interdits du sur-moi relatifs à la couleur blanche qui, on le sait, connote depuis les temps les plus recu1és une invite homosexuelle ». (p.104)

Une fois la partie commencée, si on surprend une lueur de meurtre dans les yeux du joueur qui vient de refuser une balle bonne à son adversaire, c’est que « le joueur rusé n’hésite pas à faire flèche de tout bois et à jouer sur les sentiments de culpabilité de son adversaire ». (p.100)

Un joueur, qui ne dit rien tout au long de la partie, qui se réfugie dans un fair-play parfait et qui investit toute son attention sur l’excellence de son jeu, l’élégance de ses coups ou la splendeur de son look, appartient au type narcissique, dans lequel la libido s’investit électivement sur sa personne propre.

Un joueur, qui apparaît perpétuellement tracassé par son jeu, qui change souvent de raquette et de cordage et qui finit par confier qu’il aurait pu mieux faire ou encore que son adversaire joue trop bien pour lui, appartient au type obsessionnel. L’obsession chez lui, est un substitut du pénis, tout comme le pénis est symbole de la première raquette qu’il a possédée.

D’où sort cette théorie de la pulsion tennistique et quel est son rapport avec la fameuse théorie de la sexualité ?

En fait, tout commença au printemps 1980, quand dans une vente aux enchères d’objets ayant appartenu à Sigmund Freud, le professeur américain Theodor Saretsky fit l’acquisition d’une vieille malle contenant un manuscrit portant le titre : Recueil d’essais de Sigmund Freud sur le tennis (1938)

Sans cette découverte, ces écrits seraient demeurés inconnus du grand public. Cependant, il ne faut pas considérer l’ouvrage que Saretsky a fait paraître à New York en 1985 sous le titre Sex As a Sublimation for Tennis : From the Secret Writings of Freud – le titre français a pour intitulé Le tennis et la sexualité – comme un ouvrage de bout en bout scientifique à prendre à la lettre. La part de satire y est grande. A plus d’un titre, la référence érudite et le calembour y cohabitent.

Le professeur Saretsky, montant à l’assaut de l’inconscient freudien, découvre en Freud ce que nombre de détracteurs du père de la psychanalyse cherchaient en lui : un obsédé.

La thèse principale de Freud tient en une phrase : la sexualité est une sublimation (1) du tennis.

De ce fait, la folie tennistique, maladie insidieuse, bouleverse la personnalité humaine. En effet, elle la force à abandonner la pulsion sexuelle, pour quelque chose de beaucoup plus fondamental : la quête effrénée d’un court libre aux heures d’affluence.

Dès lors, un lien est établi entre la maladie névrotique et l’expérience du plaisir : le mal névrotique prendrait sa racine dans une faute commise et aurait pour conséquence l’apparition de conduites fort étranges. Freud rapporte, à cet égard, l’histoire de la névrose de l’imperméable :

« J’introduirai ici le cas d’un jeune homme de vingt-sept ans qui souffrait d’une déperdition d’énergie libidinale ; il mettait des heures à ajuster son préservatif, si bien qu’il avait le sentiment que l’acte lui-même était une corvée imposée de l’extérieur. Une peur irraisonnée des maladies vénériennes lui gâchait le coït et l’éloignait progressivement des plaisirs sexuels. Après trois ans d’une analyse approfondie, il apparut que cet individu phobique jouait au tennis en oubliant d’enlever la housse de sa raquette. Naturellement, son jeu s’était considérablement détérioré, entraînant l’apparition de symptômes divers : apathie, dyspepsie, insomnie. L’interprétation des rejetons de son inconscient révéla que cet acte manqué, cet « oubli » significatif renvoyait à une réaction de défense intériorisée contre l’exhibitionnisme et à une névrose précoce de l’imperméable. » (p.61)

Le symptôme névrotique ne pourrait donc exister sans perturbations organiques. Ce qui signifie qu’un homme atteint de folie tennistique est repérable. Comment ? Au simple regard de son attitude corporelle.

Ainsi, on constate la floraison de variétés entièrement nouvelles de névroses et de psychoses dans toutes les couches de la société : la dépression dominicale (due à la perspective d’un week-end sans match), le tennis interruptus (due à la peur lancinante que la cloche ne sonne au milieu d’un set), la narapoïa tennistique (forme de défense essentiellement régressive contre la paranoïa, caractérisée par un délire spécifique dans lequel le sujet s’imagine que ses adversaires prennent un malin plaisir à faire des balles pleine ligne), et enfin, le syndrome de deuil tennistique (troubles liés à la perte d’un conjoint victime d’une forme suraiguë de folie du tennis).

Il ne s’agit pas, bien entendu dans cette conception, de rattacher l’apparition d’un phénomène névrotique à un trouble somatique, que l’un serait tout bonnement la conséquence de l’autre. Les symptômes névrotiques dus au virus tennistique symboliseraient, en effet, toute une vie psychique perturbée (en particulier dans le domaine de la sexualité) et reflèteraient ces perturbations.

L’exploration psychanalytique révèle l’existence de conflits psychiques enfantins dans les névroses, et réussit à les guérir en rendant conscients les conflits inconscients et en leur enlevant tout pouvoir pathogène.

Il existe néanmoins nombre de gens, qui ont subi des traumatismes sexuels violents ou sur lesquels se sont exercées des influences morbides absolument analogues à celles qui ont perturbé gravement la vie du névrosé, sans qu’ils soient atteints par la folie tennistique. Parce que ce ne sont pas les conflits extérieurs qui sont responsables de la genèse de cette maladie, mais des conflits intérieurs. C’est la façon purement subjective dont l’individu réagit à l’égard des traumatismes psychiques qu’il a subis, qui, en définitive, déclenche ou non la maladie.

La cause première de la névrose tennistique est donc d’origine constitutionnelle. Quant aux traumatismes sexuels, ils sont probablement inévitables dans la vie d’un enfant, élevé dans notre société où la sexualité est soumise à des règles sévères. Inévitables comme les bosses qu’il se fait au front, ou les écorchures qu’il se fait aux genoux.

« Dès leur plus tendre enfance, ces sujets avaient manifesté des troubles de l’appétit. Assis dans leur poussette, ils pouvaient contempler leur mère en train de jouer au tennis. Leur sentiment, à bien des égards justifié, d’être délaissés et même repoussés hors des limites du terrain s’est transformé en intense jalousie à l’égard de la balle. Celle-ci était peut-être cruellement frappée, du moins était-elle désirée. Au stade oral ou cannibalique, durant lequel l’excitation sexuelle est liée de façon prédominante à l’activité de nutrition, ces jeunes enfants ne pouvaient ingérer que des substances rondes et blanches. Entre parenthèses, telle est sans doute la meilleure explication scientifique de la faveur dont jouit, auprès du grand public, le bouillon de poule servi avec des boulettes de matzah. » (p.70)

En dehors du coïtus normalis, toute pratique sexuelle exercerait une influence néfaste sur l’équilibre nerveux du bon joueur de tennis.

Excès de prodigalité précoce ou effet de frustration atteignant le plaisir de l’homme, ces deux aspects du mal sexuel conduisent Freud, à envisager le nécessaire châtiment de l’homme coupable d’excès, qui se voit acculé à la névrose.

Le tennis dans cette perspective, synonyme de l’acte sexuel, serait l’équivalent d’un travail purgatif : éliminer ce qui, à l’intérieur de soi, est cause d’excitation ou de trouble. Le tennis, comme miroir de notre intériorité ?

Certes, il est parfois difficile de déterminer si Freud entendait qu’on le prenne au pied de la lettre ou pas. Entre une acceptation sans discernement de la théorie de l’inconscient tennistique et un rejet qui aurait l’ignorance pour seul alibi, il convient d’être circonspect.

Les plus réticents ne feront sans doute que constater certaines coïncidences, les adeptes verront leur foi confortée. Qui a raison, qui a tort ? la question reste en suspens.

 

(1) La sublimation est une transformation des pulsions inacceptables pour le sujet et qui lui occasionnent des conflits intérieurs, en valeurs socialement reconnues, le tennis étant une de ces valeurs.

 


Le livre : Le tennis et la sexualité : Les écrits secrets de Freud, Préface de Gérard Miller, Editions Navarin/Seuil, 126 pages, 1986, ISBN : 2020092727. Les extraits sont tirés de cet ouvrage.

 

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