Nous, les gens de gauche


Nous, les gens de gauche, sommes plus nombreux que les gens de droite. Nous sommes même des milliers de fois plus nombreux.


Nous nous croisons, nous entrechoquons, nous accrochons
parfois avec nos chariots pleins de victuailles en prévision des fêtes de fin d'année. 

"Pouvez pas faire attention nan, vous êtes pas toute seule ! 

Ho, pardon, je n'vous avais pas reconnue.

Bonjour madame Tartempion, alors on est de corvée à c'que j'vois... 

Hé oui ! je vois que vous n'y échappez pas non plus ?!"

Madame Tartempion et moi ainsi que des milliers de voisins
de pallier sacrifient au rituel de fin d'année, les yeux rivés sur les
montagnes de denrées à la recherche du "petit plus" qui nous
distinguera de nos voisins décidément trop traditionnels.

Nous sommes ces milliers de Françaises, de Français colorés,
bronzés ou blancs (souffrez que je n'emploie qu'un genre par commodité), d'ici ou d'ailleurs à casser la tirelire pour satisfaire à la sacro-sainte fête de la consommation.

A l'évidence nous sommes plus nombreux que les dirigeants du
magasin qui nous surveillent du bout de leurs caméras au cas où certains trouveraient la vie trop chère et se laisseraient tenter par de petites réductions de ci de là ...

Cette proportion, je devrais dire cette disproportion entre
cette foule grouillante et gourmande et nos riches fournisseurs est telle que, logiquement le nombre des bulletins de vote "de gauche" devrait être supérieur à celui des bulletins de vote "de droite".

Cette foule qui vit très bien d'un revenu moyen satisfaisant
choisit pourtant le bulletin bleu dans le secret de l'isoloir car elle est
persuadée que seuls les dirigeants du magasin sont capables de garantir ce fragile équilibre. 

Cette foule s'en fout totalement que, grâce à elle, la direction, son directeur, les banques qui le soutiennent, les intermédiaires qui s'en mettent plein les poches et tous les satellites qui gravitent autour de la planète FRIC accumulent de l'or dont ils ne savent quoi faire. 

Ils vivent dans un autre monde à l'abri (leur semblent-ils) des "turpitudes de la masse laborieuse".

Beaucoup mais pas assez voudraient utiliser cet or excédentaire à des fins humanitaires.

Malheureusement cette accumulation de "richesses"
n'est pas consommable. 

Elle est le fruit d'une détérioration croissante de notre bonne vieille TERRE.

Les richesses, les vraies, celles qui permettraient à
l'espèce humaine de survivre sont déjà dilapidées.

Peu importe se disent-ils, retroussons-nous les manches et 
au boulot !

Et c'est là que nous passons pour de joyeux utopistes.

Il faudrait que tous les humains de la terre se retroussent
les manches en même temps et décident d'une conduite à minima de vie, de naissances, de consommation, de prélèvements sur terre et dans l'eau, de déplacements, tout ce dont l'humanité peut se passer et dont une immense partie se passe déjà.

Hélas notre minorité a tout bouffé.

Il ne reste que des montagnes et océans de déchets dont nos
frères animaux se nourrissent au risque de disparaître entraînant derrière eux une grande partie de la biodiversité.

Je crains qu'il ne soit déjà trop tard pour déposer le
bulletin rouge dans l'urne. 

Les carottes sont cuites.

Toutes les précautions que nous prenons à cet instant ne
sont qu'un grand cri de détresse à l'adresse d'un Dieu salvateur mais, hélas, inexistant.

Nous sommes très nombreux, voire unanimes, à partager cette
idée phare que désormais il est trop tard.

Mais tant que nous vivons, tant qu'il y aura du pétrole, des
bagnoles et de la musique, pourquoi devrions-nous nous en passer ?

Pour en laisser à nos enfants ?

Mais leur laisser quoi ?

Une maison propre ?

Une planète toute neuve, bleue et verte sans trace de notre
voracité ?

Alors cette fuite en avant, cette boulimie de petits bonheurs, cette accumulation éhontée de biens matériels ne seraient-il pas plutôt les prémices d'une mort annoncée ?