Perdu le fil

Dimanche 7 juin 2015, mon éolière stagne depuis plus d'un an maintenant. 

J'ai perdu le fil de mes cogitation alors que j'étais sur le point de passer à la phase grandeur réelle.

Les dimensions, les masses, les assemblages, les transmissions ont été autant de problèmes auxquels je me suis heurté sans vraiment m'y consacrer à fond.

Pas moyen de me concentrer. 

Je sentais que la foi en moi m'abandonnait.

Des facteurs extérieurs comme notre vie de couple, mon entourage, mon voisinage puis des ennuis de santé sont venus perturber ma réflexion.

Puis de nouvelles idées sont venues se greffer sur le thème principal, idées que je n'ai pas encore expérimentées à ce jour : il s'agit d'abord du problème de l'orientation "face au vent" et du choix d'un modèle en rapport avec la performance aérodynamique.

Cinq modèles répondent au même principe : le vent soulève la pale de proue, la pousse en position haute et la rabat en poupe pour la récupérer sitôt passée en position horizontale.

Qu'elle soit "bi", "tri", "quatro", "sexto" ou bien "octo", les cinq modèles ne diffèrent que par le format et le nombre de pales. 

Et c'est bien cela qui me bloque! Une machine ... passe mais cinq!

Au départ la quatro était la seule envisagée même si j'avais fantasmé sur la tri avec le crayon et la gomme. 

La bi, curieusement, est née plus tard dans ma tête donnant les prémices des grandes à six et huit pales.

Rien n'empêche d'aller plus loin en nombre de pales si ce n'est ce fameux aérodynamisme.

Alors je vais reprendre mes idées en les classant par ordre de grandeur et en commençant par la bi.

Ce matin, vendredi 8 juillet 2016, je viens de me relire et je n'ai pas avancé d'un pouce. 

Pourquoi ? Parce que je vais avoir soixante-dix ans et que ma petite sœur Véronique a eu l'idée de fêter cela en famille sur mon terrain au Gandalet. 

Lou Gandalet, _ je vous avais dit que je vous en parlerai un jour. 

C'est mon petit coin de paradis, une petite bergerie en ruines que je me suis promis de rebâtir avec Paulette. 

Hélas, là aussi les obstacles se sont dressés devant moi : coût, santé, temps libre, inspiration, hésitations, tribulations et maintenant, interdiction.

Depuis bientôt vingt ans que je remonte pierre par pierre ce "cabanon" (c'est le nom qu'on donne par ici à ces petites bergeries isolées dans la montagne), la municipalité vient de m'interdire toute activité de restauration, de camping, de caravaning et de pique-nique sur mon terrain sous prétexte que la source alimentant le village en eau potable se trouve à proximité de celui-ci (120 mètres).

Décret, arrêté, menaces, mise en demeure de tout remettre en place comme c'était  initialement dans un délai de quinze jours c'est à dire d'ici au 14 juillet.

Il est vrai que depuis que cette fête a été programmée j'ai mis les bouchées doubles pour accueillir ma famille sur une propriété plus bucolique.

Le jardin, les ronces et les genets avaient retrouvé un petit air de nature au fil des années passées à cogiter, écrire et faignanter.  

Ce surcroît d'activité et le bruit de ce projet n'ont pas manqué de parvenir aux oreilles du maire qui a aussitôt perçu un troupeau de fêtards mangeant, buvant, pissant et caguant durant tout l'été et, principe de précaution oblige : STOP ! ... ... ... 

A peine avais-je commencé un trou pour récupérer l'eau de pluie que la force publique débarqua chez moi pour m'interdire tous travaux.

"_Personne ne pissera plus dans sa source ... non .... mais ... !!!" m'avait hurlé le maire dans un accès d'autorité débordant. 

Alors, voilà ... ... ... J'en suis là. 

J’obéis, je fais le dos rond, j'arrête ma bétonnière (par force : elle est de nouveau en panne), que j'avais réussi à réparer depuis les dix dernières années où elle était à la retraite.

Je laisse passer l'orage mais je continue d'aménager l'intérieur comme je l'avais prévu. 

Cette brimade aura eu au moins le mérite de me replonger dans mon projet que j'avais mis de côté par manque d'inspiration : mon éolière. 

J'ai ressorti la boite à chaussures contenant mes précieux documents et je fais le point.