Je suis libre penseur

A douze ans j’inscrivais au dos de mon double-décimètre : « nous faisons peut-être partie du bout du poil de la queue d’un chat ».

Mon professeur de physique (qui nous enseignait également la musique) m’avait fortement intéressé avec quelques notions de molécules, d’atomes, de noyaux, de protons, d’électrons et autres particules encore infiniment plus petites.

Ces éléments tournaient autour d’un noyau et la proportion entre la distance qui les séparait et le diamètre de ces particules était, parait-il, semblable voire plus grande que celle existante entre le soleil et ses planètes. 

De là à imaginer, vu la quantité d’étoiles, que cette proportion se reproduisait à l’infini et à des milliards d’exemplaires il n’y avait qu’un pas que je franchis allègrement.

Et Dieu dans tout ça …? 

Avait-il un microscope et / ou un télescope qui lui permettait de nous surveiller à toutes les échelles ?

Et le temps …? 

Notre professeur nous assurait que beaucoup d’étoiles que nous regardions le soir en été, étaient éteintes depuis des milliards d’années-lumière et que celle-ci, (leur lumière) nous parvenait seulement maintenant.

Alors là ! c’était pousser le bouchon un peu loin.

Monsieur le curé à qui je régurgitais malicieusement ces invraisemblances finissait toujours par nous dire : « hé bien, vous voyez bien que sans Dieu rien de tout cela ne serait possible… ».

Plus tard, en grandissant, j’observai que Dieu était planté là où la connaissance humaine s’arrêtait. 

Il était comme un douanier avec une hallebarde qui repoussait les scientifiques qui osaient franchir les frontières de l’inconnu.

Ainsi depuis des milliers d’années l’homme s’était mis debout, avait observé, découvert, expérimenté, vérifié et repoussé sans cesse là et ailleurs les limites de ses connaissances.

Plus il savait, plus il s’interrogeait et plus il remplaçait chaque point d’interrogation par un dieu. 

C’était pratique, ça laissait le temps de souffler et ça permettait aux peuples de s’abriter, d’avoir moins peur. 

A chaque avancée scientifique un dieu était dégommé. 

Bien sûr ça ne faisait que multiplier les points d’interrogation ; plus on savait, moins on savait.

Les chefs (au sens anthropologique du terme) comprirent peu à peu qu’ils ne pourraient garder leurs prérogatives que s’ils les partageaient avec un allier. 

Le monothéisme prenait forme.

L’homme avait compris depuis longtemps que son pouvoir était lié à son savoir.

Tant qu’il garderait seul la connaissance, ses semblables se soumettraient. 

Il serait leur guide. 

C’est ainsi que les groupes ethniques se formèrent au fil du temps.

Mais alors comment continuer de guider leur sujets si des parcelles de savoir tombaient dans les petites têtes des petites gens ?

Dieu … … …

Dieu, mais oui bien sûr ! 

En voilà un allier silencieux qui ne dit que ce qu’on veut bien lui faire dire, qui voit tout, entent tout, aime et punit aux doses calculées, manie la carotte et le bâton, s’adresse à chacun d’entre nous et ne parle à personne. 

En plus Dieu est grand. 

Il enjambe toutes ces galaxies, ces nébuleuses de l’infiniment petit à l’infiniment grand en passant par le bout du poil de la queue de mon chat.

Depuis que les hommes se sont répartis à la surface du globe ils ont acquis des caractéristiques variées parmi lesquelles les cultures et les croyances sont de loin les plus déterminantes dans les relations qu‘ils vont tisser avec leurs semblables. 

Mais leurs croyances ont été culturelles bien avant d’être cultuelles.

Le climat, la nourriture, la géographie physique, l’environnement les ont pétris, modelés, forgés depuis une dizaine de millions d’années. 

Le quotidien sera pendant des millénaires la survie. 

Pourvu que le gibier se laisse attraper ou que la bête féroce n’ai pas trop d’appétit ! 

Telle fut longtemps leur principale préoccupation.

Alors il y eu un dieu pour la chasse puis un dieu contre la faim. 

Il en fut de même pour la pluie, le froid, le soleil et ainsi de suite jusqu’à nos jours, la clémence de l’un précédant la colère de l’autre et inversement. 

Chaque acte de la vie donnait naissance à une divinité, un être imaginaire, supérieur en pouvoirs, un être incontournable puis qu’il récompensait le courage et sacrifiait les plus faibles. 

En rapprochant cette idée du comportement social de beaucoup d’animaux grégaires, la similitude entre dieux et phénomènes naturels se fit de plus en plus précise dans ma petite tête. 

Il devenait évident pour moi que quelques milliers de sardines devaient se sacrifier et servir de repas aux requins pour préserver le gros du banc et ainsi perpétuer l’espèce…
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J’imagine un grand stade où seraient rassemblés tous les peuples de la terre.

Sur les gradins chacun parlant sa langue, priant son dieu, arborant tel ou tel vêtement ferait connaissance avec ses voisins en attendant le début du match.

Puis entreraient les joueurs habillés aux couleurs de leur équipe. 

Là commencerait le grand jeux de la Laïcité (avec un L majuscule).

C’est l’espace plat, commun, dégagé, universel où se joue la seule partie qui vaille la peine de courir : l’homme contre l’homme dans un match loyale avec pour objectif le sport, le dépassement de soi-même. 

Dans les tribunes les drapeaux de toutes les couleurs, les hourras, les bravos dans toutes les langues mais avec un seul message : nous sommes tous des frères.

J’ai rêvé ? 

Peut-être mais j’ai acquis cette certitude que la seule façon de faire avancer l’humanité était de partager la connaissance entre tous, de descendre tous nus sur la pelouse du grand stade après avoir déposé ses effets, son étendard, ses croyances et sa culture sur les gradins.

La Laïcité ne peut ni ne doit endosser le costume d’aucun peuple.

Il ne s’agit pas pour moi de jeter au feu ce qui a été déposé sur les gradins. 

Chacun doit être libre de penser selon son origine. 

D’ailleurs chacun (et chacune évidemment) peut s’il le souhaite se rhabiller sur ces gradins. 

Chacun aura respecté et pris soin des vêtements de ses voisins. 

Il ne s’agit pas pour moi de faire table rase des particularismes mais au contraire, de s’inspirer de ce que les uns et les autres apportent à l’ensemble de l’humanité pour en extraire les règles communes indispensables à son développement harmonieux.

A l’heure où l’homme s’arrache de la gravité de notre planète pour aller chercher plus loin des réponse à sa propre existence est-il raisonnable d’invoquer encore des « puissances surnaturelles » vestiges d’un autre âge ? 

Comment ne pas comparer les suppliques, les prières faites dans certains lieux et devant des statues de plâtre, aux questions que posent ces mêmes personnes à leur voyante ou leur médium ?

L’irrationalité du concept même devrait suffire à ouvrir l’esprit.

J’ai abandonné cette canne que mes parents m’avaient remise dès ma naissance. 

L’atavisme, l’éducation ou la tradition aurait voulu que je suive le chemin qui était le leur. 

J’ai jeté la canne et j’ai marché debout, seul, persuadé qu’il fallait être libre et sortir des sentiers battus pour découvrir son destin.

Laisser croire au esprits « spongieux » que le géni humain est d’inspiration divine ou que toute création de la main de l’homme est guidée par la main de Dieu relève du déni de toute valeur. 

Cela revient à ôter à l’homme toute responsabilité.

Dieu a voulu … … … La fatalité … … … C’est trop facile.

Je pense et veux être libre ; suis-je libre penseur ?

Si refuser la domination de l’homme par l’homme, l’asservissement, la soumission, c’est être libre alors oui, je suis libre. 

Si le raisonnement, l’observation, l’expérience et l’expérimentation sont le fondement de toute liberté, alors oui, je suis libre.

La libre-pensée est laïque, démocratique et sociale. 

Elle rejette au nom de la dignité humaine : le pouvoir de l'autorité en matière religieuse, du privilège en matière politique et du capital en matière économique. 

Elle a pour but d'émanciper l'esprit humain.

« Si vous ne nous laissez d'autre alternative que le rationalisme ou le jésuitisme, nous choisissons le rationalisme » (sic) : Hugo avait écrit, au-dessus de « rationalisme », « libre-pensée ».

Je pense que les religions comme toutes les formes de pensées sont le fait humain.

La nature nous a ainsi faits que chaque être vivant naît par hasard dominé ou dominant.

De la baleine au protozoaire, du séquoia géant à la levure tout naît, croît, prend sa place selon un fragile équilibre dans un grouillement de vie où l’homme émerge depuis peu grâce à l’évolution de son cerveau, puis meurt. 

Tout être se nourri d’autres êtres. 

Certains sont dominés par les plus forts et deviennent prédateurs.

Les plus petits, les microbes, les virus viennent à bout des plus gros et ainsi va la vie.

Ce qui se passe au sein d’un groupe est valable pour tous les groupes.

Dans chaque espèce grégaire un individu dominant assure la survie de ses congénères en les conduisant, en les défendant contre les agressions extérieures puis est remplacé par un élément plus jeune qui… et ainsi de suite.

L’homme n’échappe pas à cette règle : il domine un groupe, le guide en lieu sûr, le protège, assure sa pérennité. 

Souvent il est élu naturellement puis il doit s’imposer et, enfin, céder sa place. 

Ce cerveau qui nous met « à part » ne nous dispense pas pour autant de cet implacable destin.

L’exception humaine serait-elle une erreur de la nature ?

De là à penser que les guerres, le sida, la faim, la drogue et les croyances sont nécessaires voir indispensables au ralentissement de cette démographie galopante il n’y a qu’un pas que bien des décideurs (munis d’une canne) (j’allais écrire : des dictateurs ) n’hésitent pas à franchir.

A vouloir toujours « plus », ce plus sans limites, ce plus sans point d’équilibre avec l’ensemble de la biosphère, ce plus ne peut croître indéfiniment.

Je pense au contraire que notre « super cerveau » hyper développé sera la cause directe de notre disparition.

Alors l’erreur sera réparée, la nature reprendra ses droits et l’histoire de notre bonne vieille planète reprendra son cours en soignant peu à peu ses cicatrices.