Après moi le déluge

 Lundi 9 janvier 2023

 

J'ouvre à peine mon livre intime, celui dans lequel j'avais pris l'habitude de consigner mes états d'âme, mes "réflexions", mes observations ou du moins mes interprétations de ce que je traversais depuis vingt-cinq ans environ, période où il m'a été donné de consacrer un peu de temps à la méditation.

Ce livre intime rassemble en partie des textes dans un "blog", fourre-tout pour "écrivaillons", inventé (encore) par les américains, pour lever le coin du voile de notre pensée au grand public au cas ou ces écrits auraient un intérêt pour autrui.

Mais non, bien sûr ; je me mens à moi-même.

Je couche sur le papier (c'est une formule) ce que je n'aurai sans doute jamais le temps de dire à mes enfants (le temps ou le courage?) car, au fond de moi, c'est à travers eux que ma vie se prolongera et non à travers des inconnus dispersés aux quatre vents.

Mes enfants, je les ai "confiés" aux bons soins de leur chère maman au moment de leurs vies où ils auraient eu le plus besoin d'un père.

J'ai beau battre ma coulpe, me rapprocher d'eux surtout depuis que je suis grand-père, je ne peux me détacher de ce boulet que je traîne honteusement pour le reste de mes jours.

Cette trop longue période, un quart de siècle environ, a creusé un fossé qu'il serait vain de vouloir combler tant nos vies ont divergé malgré ma volonté de ne pas rompre tout à fait le fil ténu qui nous a permis de nous retrouver.

Ce fil est devenu lien puis corde avec notre petite Juliette, puis câble avec la naissance de Cassandre puis pont indestructible avant même la venue d'Alice, petite bouille ronde aux grands yeux bleus.

J'ai revêtu mon nouveau costume de "Papé" avec fierté et gourmandise.

Benoît et Anaïs m'ont pardonné peu à peu sans rien dire. Même Cathy, leur maman, m'a ouvert sa porte ... en silence.

Comment pourrai-je "verbaliser" cet océan d'émotions si non dans un océan de larmes où les mots resteraient dans ma gorge, inaudibles et dérisoires.

"Tu viens dimanche ?!" me dira mon Grand selon un nouvel ordre des choses qu'il maîtrise à merveille. _ Oui, bien sûr, avec grand plaisir ; .

Pendant ce quart de siècle mon enfant est devenu homme.

Il a pris en mains sa vie, ses études, celles de sa petite sœur Anaïs et soutenu les difficultés de sa mère dont je devine à peine les remous que mon départ a suscité.

Il a travaillé là où il a grandi, là où sont ses amis, ses proches, celles et ceux qu'il a protégés d'instinct, sans tambour ni trompette.

Il a cumulé au moins deux emplois depuis toutes ces années ce qui lui a permis de se loger dans un grand et confortable appartement et d'en acquérir deux autres.

C'est là dorénavant que se rassemblent nos familles, celle de Laure, ma bru dont la glace fond peu à peu entre elle et moi et la nôtre avec parfois un tonton ou une tata qui vient compléter la grande table du salon toujours garnie de mets faits maison.

Je suis fier de sa réussite matérielle même si elle est aux antipodes de mes valeurs. ... Où étais-je lorsqu'il aurait fallu que je me penche sur ses cahiers, que je lui explique qu'il devait lire plus que ce que lui demandait son prof de français, qu'il devrait poursuivre ses études, que le monde était plus grand que sa commune, qu'ailleurs pas très loin, des jeunes de son âge arrivaient de pays lointains sans papiers, sans familles, sans abris.

"Qu'est-ce que tu vas chercher ?" m'aurait lancé sa mère que seul le bon dieu pouvait guider nos pas.

Alors oui, je me suis tu.

J'étais mal placé (lire trop absent) pour remplacer le bon dieu et les profs.

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Laure parle peu. J'ai cru que j'en était la cause. Après tout si mes enfants m'avaient pardonné tacitement mes erreurs, que restait-il dans l'esprit de celles et ceux qui ne connaissaient rien de ma vie d'antan si ce ne sont que les lambeaux les plus sombres que leurs mémoires avaient retenus tant la noirceur était impardonnable.

Il était probable que l'image du beau-père en ait été ternie.

Mais peut-être me suis-je fait des idées ...

Aujourd'hui le courant passe beaucoup mieux. Je suis le bienvenu.

Elle me taquine et utilise plus souvent le deuxième degré. J'en suis ravi.

Ma famille retrouvée et ressoudée à pris le dessus pour ma plus grande joie et mon entière satisfaction.

C'est dire la place que tient mon entourage proche dans la course inéluctable au collapsus.

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 Lorsque je me suis mis au clavier ce matin vers cinq heures et demi j'avais à cœur d'aborder les sujets brûlants que le monde nous inspire :

          le dérèglement climatique,

          la fonte des glaces polaires et celle des glaciers,

          la pollution des océans, des cours d'eau, des lacs, des nappes                     phréatiques, des zones humides,

          la pollution des sols, des terres cultivables, des forêts, des                          montagnes et jusque sur le sommet du Mont Blanc

          les sécheresses ici et les pluies diluviennes ailleurs,

          les tempêtes, les incendies, les inondations, les cyclones,

          la montée inexorable des eaux qui menace la totalité des villes           côtières de la Terre,

          les centrales nucléaires qui prennent déjà un bain de pieds,

          celles dont les eaux déjà chaudes ne refroidissent plus rien, 

          les énergies nouvelles qui seront grand-mère avant d'être rentables,

          les autres dites fossiles que l'on continue d'extraire à grands frais et           de manière suicidaires,

          la sobriété, le recyclage, la décroissance, la réparabilité,

          les avions que les puissants du monde entier utilisent sans                          vergogne,

          le pétrole que Total Énergie commence à pomper au Kenya,

          les pandémies que ces échanges inutiles propagent sur toute la           surface du   globe,

          les migrations de masse que ces motifs ne manqueront pas de                  provoquer,

          les guerres, celles des autres et maintenant la nôtre, près de chez           nous, entre blancs, chrétiens, croyants mais pas au même petit           jésus,

          j'en passe et des plus tristes.

Alors oui, je suis fatigué.

Je regrette d'avoir participé à ce chaos total.

Je me sens honteux et impuissant.

Tous ces sujets mériteraient qu'ils soient développés un par un, isolément ou par thèmes, qu'ils soient exprimés clairement, honnêtement, sans fioritures ni artifices à mes petits-enfants.

N'est-il pas trop tard pour expliquer à mes petites-filles que nous nous sommes trompés de route ?

Oserai-je leur avouer que nous avons tout raflé, tout bouffé, tout gaspillé sans en laisser une miette à nos Frères du Tiers-monde, sans se soucier du lendemain ?

Comment expliquer que les catastrophes annoncées par les savants du monde entier depuis 1988 tombent dans des oreilles pleines de fric, plus préoccupées de l'indice du CAC 40 et de leurs petits privilèges que du devenir de notre espèce ?

 

                                        "après moi, le déluge".

Je dors mal, et vous ?

 

Samedi 20 novembre 2021


Je dors mal.

Hier une horde de jeunes réfugiés avaient squatté mon Gandalet.

Ils avaient tout sorti des quatre abris : le cabanon haut et bas, les deux garages Est et Ouest.

Les vieux meubles désossés, les tables et chaises, les outils, les fouillis, tout dehors ! Et tout ce petit monde chantait, dansait et buvait.

Cette nuit c'est la pleine lune ou la nuit trop claire ou le climat trop doux pour la saison qui ont agité mon sommeil.

Tout ce trop beau, trop calme, trop clair ne me dit rien qui vaille et m'angoisse.

C'est comme un appel à se lever le cul, reprendre cette aventure là où je l'avais abandonnée alors que tout allait bien.

Manu n'attendait plus que les murs soient doublés pour terminer l’installation électrique et mon paradis devenait habitable.

Mais un maire tatillon est venu mettre un coup d'arrêt à tout ça : STOP !

Décret, gendarmes, humiliations, tribunal, amende, il n'en fallait pas plus pour me mettre au tapis.

Alors les douleurs ont repris le dessus.

À croire qu'elles se réveillent pour combler un vide.

Papa est mort le six juin 2015 mais le vide est ailleurs … … … ou non.

Je ne sais plus ce que je dois faire. Vendre ? 

Tout abandonner et me contenter de ce petit studio à 300 euro par mois dans le village ? 

Huit ans déjà que j'y habite paresseusement.

Même si les chiottes prennent l'eau par temps de pluie, même si la cave produit 100 litres d'eau déminéralisée par mois, je reste.

Encore deux ans et j'aurai dépensé 36000 euros, de quoi m'acheter l'équivalent.

Quel gâchis !

Mais tout cela n'est rien en regard du fossé qui me sépare des mes enfants, de ma famille, de mes frères et sœurs. 

Juliette est rentrée à la maternelle et je n'en ai plus eu de nouvelles. 

Cassandre va suivre le même chemin sans que je vive ces instants pourtant si beaux.

Voilà ce qui me tient debout : ne pas penser au lendemain sinon je m’effondre.

Je suis désorganisé. Ma mémoire s 'évapore de jours en jours. 

Je me lève fatigué, lourd et engourdi de tout mon corps. 

Le peu d'énergie que je rassemble est consacrée à des tâches ménagères qui me prennent des heures et des heures.


Vendredi 31 décembre 2021


Je viens de relire ce texte vieux d'un peu plus d'un mois et mon état ne s'est pas amélioré.

Réveillon devant mon ordinateur, classement de papiers toute la journée avec un torticolis bilatéral.

Benoît m'a rappelé ce matin pour confirmer ma présence demain au milieu de ma tribu car, oui, ce qui a changé c'est ma visite à (voilà, je ne m'en souviens plu) à leur table où j'ai pu enfin mettre à jour les images que j'avais depuis plus d'un ans de mes petites-filles.

Elles sont superbes, mignonnes, un peu farouches avec ce Papé qui vit comme un ours dans sa montagne mais tellement vivantes, pleine d'espérance malgré les jours difficiles que nous traversons. 

Et dire que leur avenir dépend directement de ce que nous allons faire dès demain !

Le « corrona virus » fête ses deux ans. 

Il change de noms, de variants, de dangerosité, de contagiosité, de territoires de prédilection mais il est toujours là, présent dans tous les esprits avec la complicité « bienveillante » des puissants de ce monde qui attisent la peur par les décisions hasardeuses qu'ils déploient pour éradiquer cet hôte invisible.

Alors je prie (ho, j'entends vos sarcasmes : chut, Pierre prie) pour que des décisions plus « raisonnables » soient prises rapidement : Vacciner tous les terriens gratuitement, fabriquer en urgence des millions de purificateurs d'air et les disposer dans les lieux sensibles : classes d'écoles, hôpitaux, partout où la concentration d'humains est inévitable.

Je crois savoir que l'air passant au milieu de rayons UV et de charbon actif se « débarrasserait » du virus à 99%. 

Il suffirait que les indications des scientifiques soit entendues et suivies par tous les gouvernants de la Terre de façon concomitante pour sortir de ce cauchemar.

Mais non. Le mal est fait. 

La fin de l’anthropocène est annoncée sans que quiconque n'en dévie la trajectoire, trop occupés que nous sommes à nous gaver des derniers « trésors » que notre planète nous offre.

Je n'ose imaginer le monde dans lequel vivront Juliette et Cassandre. Pauvres enfants !

Saurez-vous, et là je m'adresse à mes enfants, réparer les montagnes de conneries que nous, les « baby-boomeurs » avons amassées au cours de notre insouciante existence ?

Je crains que non. Hélas je suis même persuadé du contraire. La tâche est inhumaine. 

Seul Dieu ou un être surnaturel et providentiel pourrait renverser la vapeur. 

Superman peut-être ?

Ou le Père Noël ? 

Alors je prie. …