La reprise des travaux

Les nouveaux châssis étant en PVC, il fallait adapter la pose à ce matériau et plusieurs solutions s’offraient à nous : soit nous choisissions des volets de leur marque fabriqués sur mesure et posés par eux moyennant un prix « plancher », soit nous options pour la repose de nos volets sur un cadre adapté à chaque type de volets et ce, sans supplément de prix puisque la faute était reconnue.
Voilà, nous en sommes là … Depuis le vendredi 23 juillet, je campe dans ma maison. Les meubles sont écartés des huisseries pour en faciliter l’accès, les volets démontés sont appuyés aux murs ci et là. Les plus encombrants sont dehors et j’attends un nouveau rendez-vous pour terminer ce chantier.
Une semaine de silence puis un message laconique : « nous venons mardi vers huit heures trente, neuf heures et n’oubliez pas de leur remettre le chèque du solde ». Décidément même le personnel de l’accueil a été formé pour retenir le client. Mais, bon, on a le droit d’être de mauvais poil.
Ce mardi 10 août, huit heures quarante cinq le téléphone sonne : « Mr Piteur, bonjour, c’est Lucien Tartenpion, … … vous avez un mètre à portée de vous ?
_ Non mais je peux m’en procurer un si vous me laissez deux minutes.
_ D’accord, je vous rappelle dans un moment ».
Je descends jusqu’à ma voiture où je savais trouver cet outil et, de retour à l’appartement, j’appelle Lucien Tartenpion : « -- Ouvrez votre fenêtre et dites-moi combien il y a du nu du mur au bord du dormant.
_ Quatorze et demi
_ Non, c’est pas possible, prenez depuis l’appui etc. … etc. … etc. … ».
Dialogue de sourds, les mots de l’un ne correspondent pas aux mots de l’autre, bref après moult mesures, je réagit enfin en lui disant que ce n’est pas au moment de partir chez le client que l’on complète son métré.
« C’est bon, nous serons chez vous dans une petite heure ».
La fourgonnette arrive enfin vers dix heures. Lucien s’avance vers moi en me brandissant une pochette transparente. « Vous n’avez pas signé le chèque que vous avez remis à mes gars la dernière fois ».
Alors ça! Moi qui regrettais de les avoir payés après leur départ tellement j’étais déçu du travail bâclé qu’ils m’avaient laissé … ! J’aurais voulu le faire exprès que je n’aurais pas osé. Il est souvent des actes manqués qui sont prémonitoires. Presque trois semaines s’étaient écoulées depuis la pose des fenêtres et c’est seulement aujourd’hui que le chèque suspect refait surface. Je commence à comprendre le ton sec employé par Lucien Tartenpion pour me demander les dites précisions. Persuadés que j’ai tenté de les « doubler » en leur remettant un chèque non endossable, les courbettes sont restées à l’atelier …

en référence à : Google (afficher sur Google Sidewiki)

La guigne

L’été 69 aura marqué ma première échappée en amoureux avec Martine, ma fiancée. 

Nous avions en commun le goût de la liberté totale. 

Nous avions prévu de « descendre vers le Sud, vers le soleil, quitter la grisaille parisienne mais sans destination précise. 

Nous nous arrêtions dans les fermes chaque fois qu’un site nous plaisait et nous demandions poliment au paysan de nous laisser un coin de pré pour une nuit ou deux. 

Est-ce notre allure juvénile ou bien le frais minois de Martine dont le charme n’échappait à personne, toujours est-il qu’il ne me souviens pas avoir essuyé un refus tout au long de notre périple.

Nous installions notre tente canadienne si possible pas trop loin d’un point d’eau et nous campions ainsi deux ou trois jours. 

Par beau temps, c’est-à-dire pratiquement tous les jours à cette époque de l’année, le point d’eau nous servait de cuisine et de salle de bain. 

Je me lavais par petites étapes par respect pour nos hôtes autant que par pudeur tandis que Martine se lavait nue, telle Vénus prenant son bain, une gamelle à la main en guise de douche. 

Parfois nous nous douchions mutuellement à l‘aide du seau de toile sans se soucier des éventuels passants. 

Certains d’entre eux n’en croyaient pas leurs yeux et, au risque d’attraper un torticolis ou pire, de se retrouver contre un arbre comme ce jeune paysan qui, s’étant arrêté sur le bas côté un peu à distance, avait oublié de serrer son frein à main et l’arbre avait évité le pire. 

D’autres restaient médusés par cette apparition rare en ces contrées.

Deux ou trois fois seulement des grincheux nous ont prié d’aller ailleurs faire nos « excentricités ». 

Mais le plus souvent, le spectacle impromptu de ces ablutions bucoliques ne dérangeaient personne du moins en apparence. 

Ce jour-là nous étions arrivés en vue de la Grande Bleue et n’avions qu’une hâte : nous baigner. 

Nous voulions tenter l’aventure naturiste et les plages aux alentours d’Agde promettaient d’en devenir le centre mondial. 

L’ immense étendue de sable était peu fréquentée et je m’engageai dans les traces d’un véhicule qui m’avait précédé. 

La deux-chevaux accepta de rouler sur cent mètre environ puis s’immobilisa. 

Qu’à cela ne tienne me dis-je sans laisser paraître la honte de m’être fourvoyé en terre inconnue auprès de Martine, demain sera un autre jour. 

Nous déballons le matériel et choisissons notre emplacement à quelques pas de la voiture, dans un creux entre deux dunes. 

Tout se passe pour le mieux, baignade, soleil, immense plage pour peu de monde, pas tous naturistes mais totale liberté apparente, jusqu'au soir où nous décidons de dîner au restaurant. 

J’avais pris la précaution de vider la deudeuch au maximum de façon à mettre toutes les chances de mon côté de sortir victorieux du pétrin où je m‘étais fourvoyé. 

Martine ne s’étonnait apparemment pas de ce déménagement, toute à sa joie de passer un bon séjour au soleil du Midi. 

Les sacs, les gamelles, le réchaud à gaz, la trousse à outils, tout ce qui pouvait alourdir la voiture fut caché au fond de la tente. 

Sage précaution me direz-vous, hé bien non. 

Précaution inutile car le sable presque fluide en cet endroit avait décidé de nous retenir prisonniers. 

Marche avant, marche arrière puis de nouveau avant et arrière et à chaque manœuvre les roues s’enfoncent inexorablement. 

Plus moyen de repartir, ... enlisée jusqu'au moyeu. 

Ce n'est que trois heures plus tard qu'un brave paysan, appelé sans doute par un voisin de plage, vient nous tiré d'affaires avec son tracteur. 

Le « brave paysan », avait fait de cette spécialité, (nous l’avons su plus tard) son activité secondaire tout aussi lucrative que la culture des figues. 

De connivence avec quelques habitués de la plage, ils laissaient entrer l’automobiliste imprudent puis se portaient à son secours moyennant « forte récompense ». 

La voiture fut trainée jusqu’à la terre ferme et il ne me restait plus qu’à la garer sur un parking tout proche. 

Dîner, restaurant, retour sur la plage, tout baigne. ... ... ... 

Le vent se lève. ... ... ... 

En parigot que je suis et qui n'avait rien vu, (ma fiancée non plus), nous nous engouffrons sous la toile pour une belle nuit d'amour, ...

Mais le vent s’enfle, souffle, redouble et se déchaîne. 

Le sable sec frappe et s'amoncèle contre le pan de la tente. 

Une poussière fine traverse la toile. 

Pas plus rassurés que cela nous décidons de couvrir toutes les affaires avec un duvet. 

Mais la poussière s’accumule, couvre notre couche, nous rentre dans le nez, les oreilles. 

Impossible de dormir dans ces conditions. 

N’ayant plus le choix, nous sortons de la tente avec une serviette autour des reins, abaissons la fermeture à glissière et, le dos tourné contre le vent de sable qui nous cingle la peau par rafales, nous courrons nous réfugier dans la voiture garée à plus de deux cents mètres, persuadés que ce "coup de vent" allait s'arrêter très vite.

Mauvais pronostic. ... ... ... 

Trois heures de tempête d'une rare violence. 

D’autres campeurs nous avaient imité. 

Nous finissons par nous endormir, elle derrière et moi devant et, au petit matin, cassés et ébouriffés, nous décidons de rejoindre notre bivouac car tout sauf nos deux serviettes était resté sous la tente : vêtements, matériels, papiers argent, sacs à dos, bref, tout. 

Plus de tente ! l'endroit-même où nous l'avions laissée nous semblait inconnu. ... 

Le petit creux entre deux dunes n'était plus qu'un rêve. ... ... ... du sable, du sable, du sable, ... 

Soit on nous avait tout volé, soit nous ne nous souvenions plus de l'endroit du bivouac ce qui semblait exclu à priori. 

Persuadés que la première hypothèse l'emportait, la serviette autour de la taille, nous décidons d'en référer à la marée chaussée. 

Nous repartons en direction de la voiture mais là, ... ho stupeur ! plus de deux-chevaux. 

Affolés, nous interrogeons un couple de retraités à peine étonnés de notre mise. 

 Rien vu. ! 

La poisse ! … mais alors, quelle poisse ! … 

La colère nous étouffe … 

Les reproches fusent de part et d’autre : fallait pas, … yavéka, … yaka, … yapuka, … 

Hé bien oui il n’y a plus qu’à nous rendre chez les gendarmes dans cette tenue ridicule. 

Les vacances s’étaient très bien passées jusque là, les rivières sauvages, les petits bosquets accueillants, les prés tranquilles au milieu des vaches, le lait encore tiède tous les matins, les coins de granges dans une montagne de foins à l’odeur enivrante les jours de pluie, … bref, tous les meilleurs moments défilaient dans ma tête pendant que, le pouce en l’air sur le bord de la route, nous tentions d’arrêter une voiture. 

Le stop "presqu'à poils" dans cette région déserte à l'époque et où pourtant la nudité n’étonne personne relève du parcours du combattant. 

Le naturisme est toléré, mais seulement sur la plage. 

La chance nous sourit enfin et l'aimable automobiliste, à qui nous racontons nos mésaventures chemin-faisant, nous conduit à la gendarmerie, amusé de notre mésaventure. 

Rebelote chez les gendarmes mais, là, en cinq exemplaires s'il vous plaît. ... 

Mais à vingt et vingt-trois ans (d'insouciance) là, nus au milieu de gendarmes en uniformes, il est très difficile d'être clair et la répétition ne faisait qu'embrouiller notre récit. 

Je n’étais même plus très sûr du numéro minéralogique de notre voiture. 

Après deux bonnes heures d'interminables explications, de déclinaisons d'identité, de déclaration de vol de tente, de matériel de camping, de voiture, etc. ... un jeune gendarme fut chargé de nous procurer des vêtements. 

Deux autres heures plus tard, nous étions enfin présentables.

L'appel téléphonique à nos familles respectives qui n'étaient pas au fait de nos divers déplacements sera la cerise sur le gâteau : affolement général au bout de la ligne. 

On nous donna un peu d'argent, de quoi manger et prendre le premier train pour Paris, avec pour mission de rembourser la somme par chèque au trésor public dès notre arrivée. 

Ce n'est qu'en 1972, lors de travaux de terrassement sur cette plage, que l'on retrouva nos effets sous trois mètres de sable. 

La deux-chevaux ne fut jamais retrouvée et cette aventure qui aurait dû nous laisser un souvenir souriant, devint le prélude à notre divorce.


Nizzy

 

Alors Nizzy, tu as compris …

Aimes-toi et les autres t’aimeront.

C’est là le secret : en effet, lorsqu’on est triste, en échec, en souffrance, que le monde entier vous piétine sans vous voir, plus de repères, plus d’espoir, que du noir, on se recroqueville sur sois-même, on se ratatine, on s’efface puis on disparaît. 

On devient un rat dans un égout.

On marche sans but, dans l’obscurité totale.

La vie, la haut, nous semble une rumeur dont nous sommes exclus.

Le temps ne compte plus.

Les nuits succèdent aux nuits.

On oublie. On s’oublie. On s’affaisse.

On s’étiole puis on s’éteint. C’est la mort…

C’est du moins ce qu’on ressent, on l’attend.

Notre instinct nous maintient, nous retient jusqu’à ce que, tout à coup, notre pied qu’on avait oublié, traînant sur la chaussée a malencontreusement fait tomber un passant.

Des voix se rapprochent, la rumeur enfle, on écarte le carton, les paquets, les haillons.

La bouteille est cassée, la couverture souillée de tant de nuits passées à vivre le passé.

Soudain mon corps se réveille.

Une poigne solide vient de me décoller de la mort, du néant.

Deux bras vigoureux me maintiennent aux épaules.

Je suis comme suspendu, debout devant une forme bleue et vociférante.

Que se passe-t-il ? Où suis-je ?

Mes pieds nus frôlent le tarmac.

Ne me lâchez pas, s’il vous plaît, je vais tomber !

Mes jambes ne me tiennent pas, mes genoux se dérobent.

Les voix autour de moi se font plus distinctes : « c’est lui qui l’a fait tomber, c’est ce sac à vin ! si c’est pas une honte, ça !? ».

Une sirène vient de se taire.

Les deux poignes me basculent en arrière et je sens une toile brillante et bruyante m’envelopper tout le corps.

Je me retrouve allongé sur une forme molle.

Le ciel gris me soulève et vacille puis se referme en une voûte de néons et de tuyaux.

Des portières claquent et la sirène toute proche se remet à gémir d’une voix étouffée.

Je me sens cahoté un moment et…………plus rien.

Ça n’est que plus tard (le temps n’avait pas repris son rythme) que je me suis retrouvé dans des draps bleus qui sentaient le chlore avec un tube de plastique qui sortait du bras et un masque sur le nez.

Je m’aperçois que je viens de taper ces lignes sans m’arrêter, sans entendre les collègues qui s’amusent au fond.

J’ai le nez bouché, les yeux envahies de larmes, je ne distingue plus les touches.

Je n’avais jamais osé parler de cet épisode de ma vie, pas même à ceux que j’aime très fort, mes enfants.

Maintenant ils vont savoir.

J'ai honte mais je n'ai pas le droit de me taire plus longtemps.

Même s’ils ne viennent pas sur ce site, d’autres qui me connaissent ou qui m’ont reconnu vont peut-être leur dire.

Ils sont grands maintenant et ils pourront comprendre.

Toi aussi Nizzy, redresse-toi, va devant ton miroir et fais-toi belle.

Écris nous encore et encore, je te répondrai, c'est promis.

Dehors, le soleil brille et brillera encore ; aime-toi et tu seras aimée.

Je n’y croyais pas, je n’y croyais plus et l’amour est venu et me voici debout, fragile et pourtant plus fort.

A tous ceux qui souffrent, courage ! Je vous aime !!!