Le manque

« Il faut de tout pour faire un monde » ? Alors là, soyez rassurés ; il y a de tout, en matière de misères comme dans d’autres domaines.
Elles ont toutes un dénominateur commun : le manque ( qu’on appelle aussi pudiquement : déficit ). C’est le manque de santé, d’amour, de jeunesse, d’argent, de logement, de famille, d’ami, de racines, de culture, de curiosité, d’aide, d’instruction, d’imagination, de volonté, de projet, de motivation, de réussite, de soutien, d’encouragement, de chance surtout.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, on peut trébucher et se retrouver le nez dans le caniveau. Si celui-ci est plein et si aucun passant n’est là, on est assommés et l’on se noie. Si celui-ci est vide et sec on se fracassera seulement le visage ; des passants pourront aider à se relever, au mieux, il ne restera que des cicatrices et un nouveau manque crucial celui-là : la dignité.
Alors que faire ? Plonger la main dans la poche à Barthez ou à Messier ? Taxer un maximum les guignols de la jet-set ? Jeter ces quelques pelletés d’euros dans la cour des miracles en priant qu’ils fassent des petits ?
Personnellement je n’y crois pas. En revanche j’imagine un nouveau service public qui serait une fédération de plusieurs structures existantes telles le SAMU, les restos du cœur, l’armée du salut, l’ANPE, Polemploi, les foyers sociaux, les assistantes sociales et autant de psychothérapeutes. En coordonnant toutes ces énergies on gagnerait en efficacité et, l’aspect charité étant écarté, la dignité serait préservée.
Considérons un accident de la route ; vous seriez-vous senti humilié par l’intervention des pompiers, l’efficacité des premiers secours, le transport en ambulance ou les soins en services d’urgence ? non, évidemment.
Hé bien ce devrait être de même pour les accidents de la vie.
Ce service public serait implanté dans toutes les villes grosses moyennes ou petites et, à l’instar de la protection civile, fonctionnerait avec nos « prélèvements obligatoires ».
Je comprends que mon point de vue puisse en choquer plus d’un. C’est vrai, toutes les structures que je cite œuvrent déjà dans le même sens, mieux, elles communiquent souvent et coopèrent en « période de pointe ».
Ce que je défends à travers mon projet c’est la notion de dignité.
Tant que le traitement de la pauvreté sera laissé à l’initiative d’associations caritatives fussent-elles subventionnées par l’état (nos impôts) et animées par des bénévoles, le pauvre se sentira marginalisé. Il pensera (à juste titre) qu’une âme charitable vient lui tendre la main. Il se sentira redevable d’un geste qu’il ne pourra pas « rembourser » (du moins le croit-il). Mieux, conscient de son impuissance à renvoyer l’ascenseur, il préfèrera ne pas saisir la main tendue quitte à faire naufrage.
Je ne veux pas ici faire du misérabilisme de basse-cour mais je veux démontrer la grande différence entre la charité et la solidarité organisée.
La charité fait appel à la sensibilité, au « bon cœur », à la générosité de chacun. Ce sont toujours les mêmes qui mettent la main au porte-monnaie, les mêmes qui appellent au Téléton, les mêmes qui servent la soupe aux Restos du cœur, les mêmes qui transportent des tonnes de couvertures d’un gymnase à une église, d’un foyer à une école, etc.
Ce sont ceux-là encore qui renvoient un chèque à l’UNICEF ou à d’autres structures de ce type. Mais ceci est un autre débat.
Nos sociétés modernes l’ont très bien compris, aussi ce n’est pas sans calcul qu’elles encouragent toutes ces initiatives.
Au contraire, la solidarité me semble la seule réponse à ce problème. Il s’agit d’un choix de société.
Même si je prends bien volontiers le calendrier du facteur et des pompiers en fin d’année, je ne me sens redevable d’aucune dette envers ces institutions puisqu’elles font partie intégrante de l’organisation sociale dans laquelle je vis.
Loin de moi l’idée de décourager l’initiative individuelle ou l’aide humanitaire. L’une et l’autre ont, malheureusement, de longues années de vie en perspective.

Dans le projet que je décris je souhaiterais donner à tous, sans exception, les conditions minimum d’une vrai dignité : il faut qu’une mère puisse trouver un toit provisoire sans être séparée de ses enfants. Il faut lui laisser l’accès gratuit aux soins d’urgence, aux transports, au téléphone. Il faut mettre à sa disposition une douche, une buanderie. Il faut lui proposer au moins un repas par jour assortie de ses impératifs de régime. Il faut accompagner ses enfants à l’école et leur assurer un suivi.
Donner la gratuité et le libre accès à toutes les conditions vitales d’une vie décente me paraît indispensable que la personne soit âgée, jeune, femme, homme, noire, bronzée ou blanche.
Je ne suis pas naïf au point de croire que donner de l’eau (essentielle à la vie) au clochard de mon quartier suffira à étancher sa soif mais ce petit pas sera le premier d’un long parcourt.
Tous ces impératifs ne peuvent être accomplis que dans le cadre d’une structure « multiservices ». L’intervention concertée d’un médecin, d’une assistante sociale, d’un psy, d’un juriste ou d’une assistante maternelle doit et ne peut être que le fruit d’un travail d’équipe.
Pour reprendre l’exemple de l’accident de la route, on n’imaginerait pas qu’il manque un seul maillon dans la chaîne des interventions qui vont de la désincarcération du véhicule à l’accompagnement psychologique dès la sortie de l’hôpital.
C’est sur ce même schéma que je conçois ce service public dont la plupart des « maillons » existent déjà.
Le coût de fonctionnement de ce nouveau service pourrait être couvert par toutes les subventions éparpillées actuellement tant dans les organisations caritatives qu’aux intéressés eux-mêmes.
Il aurait pour résultat de remédier plus efficacement à ce fléau indigne d’une nation moderne.

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