Coincidence troublante

Vite, j’écris avant que ma mémoire ne disparaisse à jamais. Je sens que les trous sont de plus en plus fréquents, de plus en plus grands et de plus en plus rapprochés. L’histoire se passe au « château *», un jour de l’été 2007. Je bricolais autour de ma ruine ou, plutôt, je devais rêvasser comme souvent lorsqu’une fourgonnette fit irruption sur le terrain. Un homme en sortit, s’approcha de moi et me dit avec un fort accent italien : « suivez-moi ; j’ai quelque chose à vous montrer qui peut vous intéresser ». Il m’entraîne derrière son véhicule, en ouvre la porte arrière et soulève une bâche. Un groupe électrogène sur châssis, encore emballé dans un filme de plastique transparent apparaît. « Deux milles euros » me lance mon visiteur. « C’est tout neuf, quatre mille cinq cents watts, moteur Honda, deux prises sécurité, chargeur de batterie, disjoncteur intégré, châssis insonorisé, etc. …». Puis, voyant sans doute mon intérêt pour la chose, il empoigne la lourde machine et la pose sur le sol. Non seulement j’étais intéressé par un groupe électrogène car le mien venait de me « lâcher » quelques jours auparavant mais ce modèle correspondait exactement à celui que je rêvais de m’offrir dès que mes finances me le permettraient en attendant (un jour, peut-être) une autonomie totale à l’aide de panneaux solaires et d’éolienne. Le hasard venait m’apporter « sur un plateau » le seul engin manquant à mon équipement pour me permettre de poursuivre mes travaux de restauration. En deux temps trois mouvements l’italien débarrasse l’engin de son enveloppe et, sans attendre ma réponse, tire sur la poignée de démarrage. Le groupe se met en marche illico sans hésiter, sans tousser, comme si il venait de fonctionner dans l’instant d’avant. Impressionné par le doux ronron autant que par la qualité de la machine, je fais un effort pour paraître moyennement intéressé par le « produit ». « Trop cher » lançai-je à mon visiteur d’un air désinvolte. L’autre me regarde, hésite un moment et annonce : « mille ». De deux mille il passe à mille, holà, méfiance, ça cache quelque chose. Allez, me dit-il, à ce prix il n’y a pas à hésiter. C’est du neuf, sorti d’usine, qualité extra. Un temps d’arrêt puis : « comment tu fais à faire tourner ta bétonnière ?» me dit-il en avisant le vieux taco tout encrassé de ciment. J’ai déjà un groupe lui avouai-je. Certes il n’est pas aussi puissant que le vôtre mais il me fait l’affaire. « Cinq cents et on en parle plus. Tu me donnes ton groupe et tu gardes celui-ci pour cinq cents euros seulement ». Grisé par ce marchandage je m’enhardis à pousser le bouchon trop loin et lui lance : _« deux cent cinquante euros et mon vieux groupe en prime ». _« Ah, non … Là tu veux ma chemise avec ? » Le groupe tournait toujours avec un son feutré et régulier. J’étais prêt à céder à cinq cents euros mais je voulais savoir quelles étaient ses limites. Je jouais un coup de poker. Soit il était aux abois et j’emportais la partie soit c’était son dernier mot et , le temps lui étant compté, il disparaissait avec sa mirifique cargaison. Aller, top là me dit-il soudain en me tendant la main. A ma grande surprise, il se contentait d’une somme très inférieure à la valeur de la machine et, n’écoutant que mon coté mercantile, je lui propose de faire « l’échange des prisonniers ». J’ouvre l’arrière de mon Berlingo. Nous portons à deux le précieux engin dans mon coffre et je vais chercher les morceaux de mon vieux groupe que j’étais en train de réparer. « C’est ça ton générateur ? » s’exclame-t-il moitié en français moitié en italien. « C’est juste le capot à remonter ; j’étais en train de le réviser justement ». Quel culot ! Comment avais-je pu m’abaisser jusque là ? Craignant qu’il ne flaire l’entourloupe, je l’invite sans plus attendre à me suivre jusqu’au village où j’avais mon chéquier. Tout au long du chemin je me demande si c’est lui ou moi la victime d’une arnaque trop grosse pour être vraie. Je lui signe un chèque de deux cents cinquante euros et mon italien s’en retourne en me disant que j’étais dur en affaires, que son patron allait l’engueuler quant il saurait le prix qu’il m’a consenti mais qu’il ne pouvais pas rentrer en Italie ce soir sans avoir fait une seule vente, etc. … etc. … Abasourdi par tant de chance de ma part, je reste un long moment à me demander encore si la victime n’est pas plutôt moi et si tout ce cinéma du vendeur vaincu par l’âpreté de son client n’est pas plutôt destiner à rouler le pauvre néophyte dans la farine pour mieux le voler. Mais non, ce n’est pas possible : le matériel neuf, encore emballé, le moteur Honda, le modèle ultra récent vu dans des catalogues tout ça ne peut pas être une mauvaise affaire. Ha !, et puis, qu’est-ce que je risque ? À ce prix-là je trouverai bien à le revendre si d’aventure il ne me donnait pas satisfaction … Sur ces cogitations optimistes je reprends le chemin inverse, impatient d’essayer ma nouvelle acquisition, d’autant plus que mes travaux avaient stagné, interrompus par la panne de mon unique source d’énergie. Donc je retourne le cœur léger vers mon « château » quand soudain la fourgonnette qui roulait en sens inverse me fait un appel de phares puis s’arrête à ma hauteur. Tiens !? Me dis-je, qu’est-ce qu’il a oublié ? Bref, je me gare un peu plus loin pour ne pas gêner la circulation et je vois dans le rétroviseur mon italien qui se dirige vers moi. « Ah yé souis désolé missié Piteur, ma si yé rétourne en Italie avec seulement doué centé tchicouanta oros et ouné makina qué né marche mémé pas mouom patroné y va mé foutré à la pouorté dé mouon boulot. ». Bon ! Voilà autre-chose maintenant ! J’arrête mon moteur et sors de ma voiture pour discuter. L’italien me faisait de la peine mais la bonne affaire que je venais de réaliser faisait écran à ma compassion. « Que voulez-vous d’autre encore ? » lui demandai-je d’un ton arrogant. __ Tu me donnes deux cent cinquante euros de plus et tu reprends ton groupe. __ Ha, non ! Pas question ! Ce qui est dit est dit. Je vous ai signé un chèque en bonne et due forme ; nous étions d’accord sur le prix ; vous avez votre matériel, moi j’ai le mien ; pas question de revenir en arrière. __ Mais yé vous dis qué mouon patroné Il va pas vouloir qué … … … Je remonte dans ma voiture, bien décidé à ne pas poursuivre cette conversation plus avant. L’italien toujours à ma vitre me supplie de l’écouter mais, pour une fois que je fais une bonne affaire sur le dos de quelqu’un qui cherchait à me soutirer d’avantage, je ne vais surtout pas me priver de cette jouissance ! Je tourne la clef dans le contact et tente de remettre le moteur en route … … … pas un toussotement ! Je recommence … et recommence encore … la panne !!! L’autre, croyant sans doute que ma voiture est à l’image de mon groupe électrogène, se calme et se propose même de voir avec moi pourquoi ça ne démarre pas. Je n’y connais presque rien en mécanique et l’avis d’un tiers ne peut que m’être bénéfique. Je déverrouille, descends de voiture, lève le capot sans aucune conviction d’y découvrir quoi que ce soit, machinalement, avec, sur mes talons, mon italien bien heureux de l’aubaine. Ces quelques minutes seront comme des heures ! Mon vendeur de matériels passe de la mécanique à l’obsession de récupérer sa mauvaise affaire. Je tourne à npuveau la clef dans l’espoir de voir cette maudite bagnole repartir. Cinq ans, pas une panne, pas un seul problème, un entretien régulier, bichonnée comme jamais une de mes voitures ne l’avaient été avant elle et aujourd’hui, tout de suite, maintenant, me faire le coup de la panne alors que l’autre n’arrête pas de me cuisiner pour récupérer sa bécane ou du pognon, ya de quoi se foutre le cul parterre et se ronger les ongles du gros orteil avec les dents !!! Tou comprrendo, si mio patroné i voit qué yé laissé uné macina à cé prix i mé tou. Calme-toi Piteur, calme-toi … Peine perdue … Je contourne l’italien et la voiture, ouvre les portes arrières, attrappe seul la lourde machine et la pose sur les graviers puis, sans plus écouter le casse c……. toujours sur mes talons : « Tiens, la voilà ta bécane. Rends-moi mon chèque et mon engin et disparaît de ma vue, espèce d’emmerdeur !!! » Je récupère les morceaux (moins un) et il me rend mon chèque puis avec un air de chien battu regagne sa fourgonnette sans rien ajouter. Une petite marche arrière jusqu’à ma voiture et en moins de temps qu’il n’en faut pour le taper sur cet horrible clavier (ça y est, les nerfs se retendent), l’homme charge le matériel que j’avais si bien négocié et disparaît au premier virage comme il avait apparut quelques … minutes ? … heures ? Avant. Le temps de me faire à l’idée que je devrais rentrer à pieds, que je venais de perdre du temps bêtement, qu’il me faudrait sûrement confier mon véhicule au mécano et poursuivre la réparation de mon vieil engin, je referme le capot et, comme en désespoir de cause, je donne un dernier tour de clef de contact et ……………………………………………… …………………………………………………......... le moteur redémarre comme si il ne s’était jamais rien passé. Est-il besoin de décrire l’état d’esprit dans lequel je me trouve à cet instant précis ? Si j’avais eu toutes mes dents j’aurais bouffé ma bagnole. Je lui ai dit de tout. La haine, la rage que l’on peut éprouver après les « éléments » je les ai éprouvées. Rien ne laissait présager (le mot n’est pas trop juste) une suite d’évènements aussi diaboliques. Un moment j’ai cru que Dieu existait et qu’il m’avait puni de ma réussite trop facile. Il avait orchestré minutieusement cette suite pour gens dociles et gogos crédules. Alors j’ai secoué énergiquement la tête pour me débarrasser de cette idée stupide et, le lendemain, j’ai pu vérifier qu’un chèque avait bien été signé au nom de l’italien et à la date avérée Quelques mois passent pendant lesquels j’avais conté l’aventure à mes proches. Echange d’anecdotes : « à moi, vous ne savez pas ce qu’il m’est arrivé … … … », « et moi, l’autre jour … … … ». Ouf ! Je me sentais moins seul mais pas consolé pour autant. Perdre une si belle affaire pour une histoire de panne de voiture, ah non ! Je ne l’avais pas digérée ! Le temps passe et un beau matin ma compagne me téléphone et me dit : « _ T’as vu le journal ce matin ? » « _ Non, tu sais bien que je ne lis pas ce torchon (n’insistez pas, je ne vous dirai pas le titre), Qui a-t-on flingué encore ?(c’est fréquent dans le Midi). « _ Personne mais tu te souviens ? ton italien, là, celui qui voulait te vendre un groupe électrogène … … … hé bien ils l’ont arrêté avec une vingtaine de ses complices italiens pour trafic de matériel de contrefaçon! » « Nooon!!! C’est pas possible ! » « Oui du matériel agricole ou de chantier ou quelque chose comme ça … ». Oh, je vous entends d’ici, vous les croyants, les suiveurs, les crédules : « _ lui qui croyait avoir été puni par Dieu, regardez-moi ça, il est prêt à mettre un cierge à Laghet pour le remercier de lui avoir évité de se faire rouler par plus roublard que lui ». Hé bien non, je ne vous donnerai pas cette satisfaction mais je reconnais volontiers que cette affaire m’a troublé (et ce n’est qu’un euphémisme).  * Le "chateau" : quatre murs, vingt-cinq m2, mon petit paradis.

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